Coronavirus en Italie : «Si la contagion gagnait le sud, le nombre de morts exploserait en raison du délabrement du système de santé»

Pubblicato su Le Monde il 10/03/2020
Pour réduire les risques de contagion du coronavirus, l’Italie a mis en œuvre des mesures de sécurité extraordinaires. Dans une grande partie de l’Italie du nord il est désormais interdit de s’éloigner de sa commune de résidence et de voyager. Le contrevenant risque jusqu’à trois mois de prison. L’enseignement a été suspendu dans les écoles et les universités. Les musées, les gymnases, les piscines sont fermés. Bar et restaurants s’arrêtent après 18 heures et pendant leurs heures d’ouverture les clients doivent conserver entre eux une « distance sociale » d’au moins un mètre. Ces mesures sont sans précédent en Italie comme en Europe depuis au moins un siècle.
Le nombre de personnes contaminées et de morts est le plus haut après la Chine. En partie cela est dû au fait que l’épidémie a commencé en Italie avant les autres pays européens, avec l’arrivée depuis la Chine de personnes déjà infectées mais sans symptômes apparents, l’incubation étant de quinze jours, et qui en ont infectés d’autres. Ces chiffres très élevés de malades s’expliquent aussi par des raisons « méthodologiques », les autorités faisant de nombreux test y compris à des gens sans symptôme ce qui a permis de déceler précocement nombre de malades. Mais la situation italienne présente ne fait malheureusement qu’anticiper ce qui risque de se passer dans d’autres pays européens et extra-européens.
Incontestablement il y a eu des erreurs dans la gestion des mesures prévention. Ainsi , le blocage dés le 31 janvier des vols en provenance de Chine : les passagers sont alors arrivés en Italie après des escales intermédiaires, sans être soumis à des tests et sans pouvoir être identifiés. La confusion a été aussi aggravée par des dysfonctionnements administratifs : les administrations régionales et les mairies prenaient des décisions ensuite annulées par le gouvernement .
Les initiatives du gouvernement face à l’épidémie font consensus. Il est difficile de s’opposer, notamment en terme politique, à des mesures de précaution. Ceux qui les critiqueraient demandant leur allègement s’en repentiraient vite si l’épidémie devait prendre encore plus d’ampleur. Les seules voix critiques viennent d’associations de médecins et ce n’est pas une coïncidence : ils ont la compétence mais pas de responsabilités politique. Ils soulignent que l’infection avec le Covid 19 n’est pas beaucoup plus sérieuse que celle d’une grippe classique et que les morts sont dans l’écrasante majorité des personnes âgées déjà porteuses d’autres pathologies.
Au début certains pensaient que les restrictions imposées étaient exagérées. Il n’en est pas ainsi. D’autres facteurs, notamment organisationnels, expliquent l’alarme des autorités. Le principal syndicat de médecins italien relève que les places disponibles en réanimation dans les trois régions pour le moment les plus exposées – Lombardie, Venetie et Emilie-Romagne- sont en tout 1800. En temps normal 40 % resteent vide pour être à même de faire face à des urgences. Là, ces lits osnt occupés à 95 %, donc à saturation, alors même que le nombre d e malades ayant besoin d’aide respiratoire ne cesse d’augmenter.
Un document de la société italienne d’anesthésie, rendu public le 6 mars, précise les principes à suivre en cas d’impossibilité d’admettre en réanimation tous les malades qui en auraient besoin, reconnaissant implicitement qu’ils seront choisis en fonction de leur âge et de leur conditions cliniques. Il ne faut pas oublier non plus que les trois régions du nord au coeur de l’épidémie sont aussi celles où les structures sanitaires sont les meilleures. Si la contagion devait gagner le sud de l’Italie le nombre de morts augmenterait de façon exponentielle en raison du délabrement et du sous financement des structures de santé dans ces régions.
Les hommes politiques italiens à commencer par le président du Conseil Giuseppe Conte ne cessent de répter : « nous devons modifier notre style de vie ». Cette épidémie impose une mutation anthropoligique au moins temporaire. On nous demande de mutiler notre sociabilité et de renoncer à voyager. Nous devons redécouvrir une manière plus lente de travailler avec moins de réunions. Comme le souligne le philosophe Roberto Esposito nous assistons simultanément « à une médicalisation de la politique et à une politisation de la médecine ». Les choix politiques se fondent sur la nécessité de l’hygiène publique en même que l’on demande à la médecine des prévisions pour pouvoir reprendre la vie économique du pays. Ultime paradoxe : depuis des décennies les investissements dans la recherche médicale étaient centrés avant tout sur la lutte contre les maladies chroniques. Notre système de santé, déjà fragile, risque d’imploser à cause d’une épidémie virale.
Le mesures prises en France vont être probablement renforcées ces prochains jours notamment avec des restrictions sur la liberté de circulation. L’interconnexion est une conquête de la globalisation mais il y a le revers de la médaille. Il est significatif que l’épidémie ait démarré en Italie dans les régions économiques les plus dynamiques qui ont le plus de relations économiques avec l’extérieur et notamment avec les puissances émergentes d’Asie. Une ville comme Paris, « hub » de multiples connexions est à cet égard encore plus exposé. D’où la nécessité pour les autorités françaises d’agir vite pour éviter une envolée de l’épidémie. La structure administrative centralisée française est un atout pour prendre des mesures claires et efficaces. La question reste celle de la volonté politique.
Antonio Maturo, professeur de sociologie de la santé à l’université de Bologne.

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